C’est depuis Toliara, Madagascar, que je vous écris. Dans ma nouvelle série sur les racines et les ailes, cette ville portuaire est sans aucun doute la mieux placée pour me/vous/nous rappeler un passé qui (devrait) nous concerner tous. C’est d’ici, de ces lieux et par ce bras de mer, que fut capturé Massavana (*), Malgache raflé et transporté à bord du navire négrier néerlandais Meermin pour être vendu comme esclave à destination de Cap de Bonne Espérance.
Massavana se rebelle héroiquement, mais la fin de l’histoire fut triste et révoltante: dupé par ses ravisseurs hollandais et capturé, il fut emprisonné à Robben Island, où plus tard, bien des décennies plus tard, on emprisonnera un autre héros africain. L’archéologue Jaco Boshoff, du musée Iziko, Le Cap, a retrouvé le plan de ce navire négrier Meermin : un trois-mâts de 31 mètres de long, spécialement conçu pour le transport en général et la traite d’esclaves en particulier.
Cape town. L’histoire courageuse de Massavana se passe en 1766. Entre 1652 et 1800, un peu moins de 3 000 Malgaches furent transportés à bord de ces bateaux négriers vers Cape Town. Ils ne furent pas autorisés à garder leurs noms malgaches: tous étaient renommés soit suivant les jours de la semaine (Monday, Friday, Tuesday), soit les mois de l’année (January, February, March…), soit par des noms connus dans la mythologie européenne ou dans l’histoire du Vieux continent (Alexander, César, Darius), soit par des noms issus de la Bible (Adam, Jacob, Samuel), soit par le nom de leurs propriétaires. Mais ils étaient reconnaissables par l’attachement géographique accordé à leurs patronymes : Samuel von Madagascar, Friday von Madagascar, Johnson von Madagascar. etc.
Les esclaves débarqués en Afrique du Sud étaient originaires, entre autres, de l’Inde, du Mozambique, d’Abyssinie (A l’époque, ce territoire recouvrait les actuels Éthiopie, Érythrée et Soudan), du Bengale, de Madagascar, du Japon, de la Guinée, d’Angola, d’Indonésie. Les actes héroiques des esclaves malgaches révoltés étaient nombreux, avec diverses fortunes. On connait l’existence d’un Anthony von Madagascar qui prit la fuite en mars 1655, à Cape Town, et ne refit plus jamais surface; l’existence, également de Tromp von Madagascar, qui s’est enfuit de Cape Town en 1713, avec un groupe d’esclaves. Il fut capturé et sa sentence fut sa mise à mort par empalement : Tromp ne le permit pas à ses géôliers, il se suicida. On connait aussi une Eva von Madagascar, débarquée en Afrique du Sud en décembre 1654: elle fut donnée en cadeau à Jan van Riebeeck, qui installa le premier comptoir Sud-Africain de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. La razzia concernait aussi des enfants en bas âge: une »Clein Eva », petite fille Malgache de cinq ans, qui fut aussi octroyée à van Riebeeck par le roi d’Antongil, en 1657.
Nouveau Monde. Le commerce d’esclaves malgaches vers l’Amérique commenca vers la fin du 17e siècle/début 18e siècle. Ainsi, par exemple, de 1719 à 1725, plus d’un millier d’esclaves Malgaches débarquèrent en Virginie, par les ports du fleuve de Rappahannock et du York River. Le bateau Prince Eugene, en provenance de Bristol, accosta le 18 mai 1719 avec 340 esclaves Malgaches à bord. Le Mercury, vaisseau britannique, arriva par le fleuve de Rappahannock le 17 mai 1720 : 466 Malagaches. Ils furent suivis d’autres navires negriers tels le Rebecca Snow, le Gascoigne Galley et le Henrietta : ces trois vaisseaux arrivèrent successivement en à peine six semaines avec des centaines de Malgaches capturés depuis la Grande île. On estime qu’entre 1719 et 1721, quelques 1 231 Malgaches ont été capturés, transportés et vendus dans le seul territoire de Virginie. Le même commerce se fera dans d’autres Etats.
Les témoignages de vies de ces esclaves ont été longtemps mis en doute et sous-estimés. Il faudra attendre quelques décennies avant que ces souvenirs, baptisés »récits d’esclaves », retrouvèrent leurs sens et leurs valeurs, créant un genre littéraire en soi. La Case de l’Oncle Tom est le plus connu de ces récits, mais des descendants d’esclaves malgaches y ont aussi participé. C’est le cas du récit d’Isaac Johnson, dont la mère fut parmi les premiers esclaves malgaches capturés sur nos terres et vendus aux Etats-unis. Isaac Johnson, né d’une Malgache, fut vendu avec sa mère et sa fatrie par son propre père – Je vous invite à lire les mémoires, Slavery days in Old Kentucky, 1901 en cliquant ici. Extrait : »My grandfather was an Irishman, named Griffin Yeager, and his brothers were engaged in the villainous vocation of the Slave Trade. Their business was to steal Negroes from Africa or wherever they could get them and sell them as slaves in the United States. My mother was stolen by these people from the island of Madagascar in the year 1840. She was brought to America and given to my grandfather who concluded she would make a good servant. He gave her the name of Jane and kept her till he died, which was soon after.”
Photo : Isaac Johnson, 1901
En 1910 parait aussi l’interview de la Malgache Katie Jacobs, 96 ans, fille d’esclave Malgache capturé à Madagascar et asservi à Cape Town. Katie avait six ans quand la traite des esclaves fut arrêtée. Son interview est l’un des rares documents en bande-son réalisés de cette époque (le seul que je connaisse en tout cas), découvrez une partie la transcription écrite en cliquant ici. Extrait : »I was born on Mr Mostert’s farm, near Kalabas Kraal,’ she recalled. ‘I don’t know the exact day, but I was between nineteen and twenty years when we were freed. My father was a Malagasy, and my mother a Cape woman. I began to work when still very young. When my baas, through old age, was unable to continue farming, he distributed most of his chattels among his sons, whom he had set up as farmers in the neighbourhood. I and some cattle and horses were given to baas Kootje; my mother and some more cattle were presented to another son in Frenchhoek. From that day I never saw my mother, nor do I know what became of her.”
Photo : Katie Jacobs, avec deux de ses arrières-petits-enfants, 1910.
Ces témoignages fournissent des détails précis sur les conditions de vie, inhumaines, de ces esclaves. Certains sont racontés par le septième art, dont je vous passe un lien intéressant sur le récit de l’esclave américain Solomon Northup, publié pour la première fois en 1853 et immortalisé au cinéma par Steeve Mac Queen, 2013. Pour revenir à l’histoire vraie de Massavana, regardons le film »Les Révoltés de Meermin » 2010.
J’aimerais, en terminant ce billet, le dédier à celles et ceux qui viennent de cette terre qui est la mienne et dont l’histoire est malheureusement méconnue. En leur mémoire.
Toliara. C’est en regardant l’étendue infinie de cette mer devant moi que je me rappelle qu’il fut un temps où celle-ci était la porte des voyages sans retour…
Pour d’autres lectures :
- http://www.stamouers.com/index.php/people-of-south-africa/slaves/674-let-them-speak-slave-stamouers-of-south-africa
- http://www.san.beck.org/1-13-Africa1500-1800.html
- L’archéologie des navires négriers en Afrique du Sud : les cas des épaves des navires hollanddais Meermin (1766) et portugais Sao José (1764)
- http://www.afrocentricite.com/2012/01/massavana-du-meermin-a-robben-island/
- Les récits d’esclaves aux Etats-Unis, fondement de la littérature abolitionniste.
- Born in Slavery
(*) : Massavana est la prononciation occidentatale du nom malgache, que l’on pense être originairement un patronyme vezo ou sakalava.
Bonjour,
J’aime ce que vous faîtes, avec cette écriture fluide et sensible.
Je suis particulièrement touchée par l’article de Massavana et Khosei. Si un jour, j’aurai encore la chance d’aller en Afrique du Sud, je ferais tout pour visiter leur demeure éternel. D’ailleurs, je vais faire une recherche plus approfondi sur ce sujet.
Tuléar , toi , mon pays.
Je viens de connaître votre blog magnifique. Félicitations et merci beaucoup.
J’ai entendu dire, il y a longtemps, que le boxeur Cassius Clay ou Mohammed Ali se réclamait aussi d’origine malagasy. Avez-vous confirmations de ces dires ?
Sinon, les îles des Mascareignes étaient le plus souvent la destination des hommes déportés de Madagascar. Le toponyme de l’île de La Réunion et la langue créole ont notamment gardé des traces reconnaissables de cette histoire.
J’apprecie bien ton article, malheureusement pour notre pays beaucoup d’histoire reste meconnue. Etant actuellement dans le pays de nos ancetres les « bougis »en Indonesie South Sulawesi je souhaiterai ecrire un article comme tu l’as fait Mialy!
Super, merci. Je ne suis pas une grande spécialiste en la matière (pas même une petite non plus d’ailleurs), mais j’essaie de me documenter autant que possible. Misaotra indrindra e!
Salama,
j’essaye de m’intéresser a l’Afrique du Sud
mais je n’y suis jamais allé étes vous établie au Cap
une journaliste fait un reportage sur littérature jeunesse la-bas à l’occasion du festival Montreuil,
connaissez vous les écrivains qu’elle cite ?
je vous mets cet article en copie
http://sainagasydadabe.blogspot.fr/2013/11/enfances-sud-africaines-catherine-simon.html
épaté de votre curiosité,
bien à vous
Bien à vous,
http://madarevues.recherches.gov.mg/?-volume-13-14-janvier-decembre-1981-
salama
Beaucoup de « twitter » célèbres de Tuléar, se passionne pour l’histoire de cette ville. Peut-être avez vous consulté le compte-rendu de RANTOANDRO A.G. L’extrême Sud-Est de Madagascar aux 16ème et 17ème siècles à travers les chroniques européennes de l’époque. in Actes du Colloque de Tuléar (9-15 Av. 1979). Histoire et civilisation du sud et de l’ouest malgache.
http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=12344578
article de Gueunier
Un conte de fées malgache: la princesse faite esclave in Actes du Colloque de Tuléar (9-15 Av. 1979). Histoire et civilisation du sud et de l’ouest malgache.
http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=12345358
http://sainagasydadabe.blogspot.fr/search?q=omaly+sy+anio
Nous nous ferons un plaisir de vous les adressez, si vous avez du mal à les consulter