Dans le vieil Imerina, qui précède l’époque malheureuse du Rebik’Ondry aujourd’hui encore en cours (?), la naissance est auréolée de plusieurs règles à l’usage de la mère, de la famille, de la communauté et du nouveau-né. Comme dans toutes les cultures, les naissances sont un évènement heureux, célébré avec certaines rites et coutumes. Je ne suis pas certaine d’aimer être maman à cette époque – ça m’a l’air très compliqué…-, mais aujourd’hui, je suis certaine que ces rituels ont permis de donner vie, non à un enfant uniquement, mais à toute une identité.
Je dois préciser que dans ce billet, les coutumes concernent essentiellement la femme Merina, bien que sous beaucoup d’aspects, ces mêmes coutumes pourraient être rencontrées ailleurs. N’ayant pas vraiment de références sur ce qui se pratique chez d’autres femmes Malgaches, je ne peux pas vraiment dire que les coutumes partagées ici sont exactement les mêmes partout sur l’île. Si vous en connaissez, je serais ravie de les connaître aussi.
La grossesse
Dans le contexte du vieil Imerina, la procréation n’avait rien à voir avec la sexualité. La conception d’un enfant est comprise comme totalement coupée de toute considération humaine mais comme le fruit de la bénédiction de Zanahary et des ancêtres, mais aussi la récompense du respect à certaines règles, certains interdits et certains usages. En 1902, la communication du Dr Ranaivo suite à la présentation de sa thèse de médecine disait :
« …Beaucoup de personnes croient que les rapports sexuels sont inutiles, la conception étant un don de Dieu et des esprits ».
Il est donc courant, lorsqu’une femme ou un couple souhaite avoir une descendance, de s’adresser au pouvoir bienfaisant du Créateur et à la bénédiction des aïeux. Louis Molet, dans Conception, naissance et circoncision à Madagascar, In L’Homme, 1976, cite les exigences coutumières que les aspirantes au titre de maman doivent respecter :
(…) Pèlerinages, onctions de pierres sacrées, vœux, consommation de riz, de graisse, de fragments de nattes sur lesquelles ont reposé les restes des ancêtres lors des retournements des morts (famadihana), massages au coin nord-est de certains tombeaux, la masseuse passant ses mains sur la pierre avant de toucher le ventre de la femme, etc. »
Des règles qui laissent aussi croire que la part de l’homme –le mâle – dans la création n’était donc absolument pas suffisante. Louis Molet cite aussi une appellation que je n’avais jamais entendue à propos des femmes souhaitant devenir mères, du moins, les femmes de l’Imerina : lorsqu’elles décident de s’assujettir à ces actions pour prier Zanahary et les Ancêtres de leur donner un enfant, on dit d’elles qu’elles « miantafika », leur donnant ainsi le statut de… guerrières.
Lorsque Zanahary et les esprits lui ont donc accordé le privilège de tomber enceinte, commence alors pour la femme une aventure très singulière, faite de prescriptions diverses, le futur père lui n’étant maintenu à aucune forme d’interdits, ni de couvade (pas très fair play hein). Ainsi :
- La future Ineny est tenue de se lever aux aurores, elle doit piler du riz au lever du jour mais ne doit jamais pénétrer dans le silo.
- Elle ne doit jamais puiser de l’eau au mitan du jour ou au coucher du soleil.
- Elle doit boire beaucoup de bouillon de riz et de bœuf, manger la peau du poulet et son gras. Par contre, le piment rouge, les pieds de canards et d’oies lui sont interdits ainsi que tout produit de la pêche en eau trouble.
- Pour ses occupations de tous les jours, elle ne doit jamais se servir d’une calebasse cassée – ni briser une calebasse, du reste – Elle ne doit jamais utiliser une vannerie dont les tresses ne sont pas achevées, d’un mortier également.
- Elle ne peut pas s’asseoir sur le seuil de la porte et fuira toutes les maisons où une personne vient de décéder ou une maison où une circoncision aura lieu.
Le non-respect de ces usages porterait atteinte à la maman et à son utérus, à l’entourage de la femme et rendrait l’accouchement difficile voire mortel. Mais les relations sexuelles ne sont pas interdites… J’ai envie de dire : toute privation mérite plaisir 🙂
Le père n’a aucun interdit, par contre, il doit être aux petits soins pour son épouse et doit lui satisfaire toutes ses envies. L’écrivain Andriamiadanarivo, dans « Ny Sikajin’i Dadabe » parle de la tradition du « manala ratsiana », qui consiste à mitonner tous les plats exigés par la future maman afin de satisfaire ses envies, ses ratsiana. Lorsque le jour de la délivrance approche, le futur père est exempt de toute corvée et doit soutenir son épouse. Dans « Chez les Hova/Au pays rouge », 1898, P. Ollendorff écrit :
« Du temps d’Andrianampoinimerina et de Radama, assurent les anciens, un mari dont la femme arrivait à la dernière période de sa grossesse était dispensé de toute corvée, même de ses devoirs militaires. Ces deux grands rois disaient qu’il était aussi beau de doter sa patrie d’un enfant que de donner sa vie pour la défendre. Beaucoup de naissances valent mieux qu’une victoire. »
Du travail à la naissance
Lorsque le travail a commencé, la famille fait appel à une reninjaza qui va aider la femme à mettre son enfant au monde. Le père, ainsi que tous les hommes, ne sont pas autorisés à assister à l’accouchement qui est aussi une forme en soi de cérémonie rituelle. La reninjaza est traditionnellement appelée mpampivelona, qui donne la vie. Lorsqu’elle annoncera la naissance aux parents, elle dira : « Velona indray Rasoa », littéralement : Rasoa est de nouveau en vie, métaphore signifiant que le passage de l’accouchement est une étape difficile entre la vie et la mort, mais que Rasoa la guerrière s’en est bien sortie et connait maintenant sa résurrection. Symboliquement, la délivrance est considérée comme la résurrection.
Lorsque l’on fait appel à une reninjaza, en aucune circonstance, cette dernière ne pourra refuser. Elle arrive chez la parturiente et l’examine. Lorsqu’elle voit que cette dernière est prête, elle lui ceint une bande de soie blanche sous les aisselles et passant sous les seins afin que l’enfant ne remonte pas. La femme doit se mettre dans une position très précise et utilisée par les reninjaza de l’Imerina : assise, les jambes écartées, comme le précisent Engelmann & Rodet, dans « La pratique des accouchements chez les peuples primitifs » 1886.
Nozarain’ny namako ahy ity sary ity, dia misaotra azy isika. Tsy fantatray ny tompony, sao misy mahafantatra ?
Jusqu’à ce que l’enfant soit expulsé, la femme n’a pas le droit de crier. Du reste, un silence impassible doit accompagner l’accouchement : toutes les femmes de la famille peuvent assister, personne ne doit parler ni émettre un quelconque son jusqu’à ce que l’enfant soit sorti du ventre de la mère. Au moment de l’expulsion, toute l’assistance, y compris la reninjaza doit détourner les yeux. Personne ne doit voir l’instant où le corps entier de l’enfant sort du ventre de sa mère.
Puis, on attend patiemment que le sang cesse de battre dans le cordon ombilical. Lorsque la reninjaza constate que le sang a cessé de battre, Louis Molet explique la pratique de la préparation du cordon :
« Quand le sang a cessé de battre dans le cordon ombilical, on plie celui-ci vers la tête et l’on fait un premier lien à la hauteur du sternum, ensuite on le plie vers le bas et l’on fait un second lien à la hauteur des genoux, cuisses fléchies. On coupe alors entre les deux liens avec un éclat de bambou tranchant (kiso) ou, de nos jours, avec un petit couteau et le sang est absorbé par de la moelle de papyrus. »
Le nouveau-né est frotté à l’eau tiède et enduit de graisse, origine de l’expression « nosorandreniny menaka ». Son front sera marqué du sang d’un coq, un peu de sel sera déposé sur sa langue pour qu’il soit courageux et fortuné. Ces premiers rituels faits, l’enfant reçoit sa première bénédiction par la mpampivelona.
Chose curieuse : les anciennes ne s’inquiétaient pas de perdre trop de sang. Ce que Molet confirme, en citant le Dr Ranaivo (1902) :
« Les hémorragies n’étaient pas redoutées. Si la matrone jugeait que la femme n’avait pas suffisamment perdu de sang, elle lui faisait prendre des fumigations vaginales en l’asseyant sur l’ouverture d’un mortier à riz et en versant de l’eau sur une pierre préalablement chauffée”
– c’est surtout sur cette partie-là que je suis contente d’avoir échappé à cette période :(, mais j’espère que mes aïeules ne me détestent pas trop…
Les relevailles durent environ une semaine ou plus, après la naissance, au cours desquelles la maman merina reste dans un komby, qui est aussi mis dans la maison natale. Molet décrit :
«Il s’agit d’une sorte d’alcôve en nattes jointives lutées à la boue, placée au-dessus et autour du lit, clos ainsi de trois côtés. La pièce où ce komby est dressé est transformée en étuve. Elle est chauffée en permanence par un feu entretenu presque sans flamme dans le foyer central ou par une sorte de brasero placé parfois sous le lit ».
La maman, ainsi chauffée est dite « mifana ». Au cours de cette semaine, la maman reste sur le lit à transpirer abondamment. Rien ne doit être déplacé autour d’elle sans son consentement, aucun bruit ne doit perturber son repos. Ce n’est qu’après une semaine de transpiration que la maman et le bébé peuvent se laver.
L’annonce du nouveau-né
Si l’accouchement se fait silencieusement, une fois la délivrance faite, l’assistance est en joie : elle applaudit, elle danse, elle chante, il faut faire beaucoup de bruit. Pour annoncer la naissance d’un garçon, le père doit planter devant sa maison une sagaie nouée d’une bande de soie rouge. Pour une fille, il plante une baguette nouée d’herbes. Si la famille a les moyens, l’on fait une salve de coups de fusil.
Dans « Chez les Hova/Au pays rouge », 1898, P. Ollendorff dit que le père fait égorger des zébus dont la viande sera distribuée aux personnes qui ont veillé durant l’accouchement ainsi qu’aux parents, proches et amis qui viendront saluer la naissance du bébé. Cette viande doit être préparée en kitoza. Vient alors le cortège joyeux qui présente ses vœux à la famille, selon des formules anciennes de bénédiction. Ces visiteurs doivent apporter un « hasina ».
Quelques jours plus tard, à la fin des relevailles et à un jour fixé par les astres, une ancienne tradition veut que l’enfant soit exposé à la lumière et la chaleur du soleil, dans les bras d’une personne dont les deux parents sont encore vivants. Puis, la famille doit procéder à la présentation du bébé. La famille se forme en cortège, suivant les parents du bébé. S’il s’agit d’un garçon, le cortège doit passer par le parc à bœufs.
La famille fait sept fois le tour de la maison natale où se trouve le komby. Chacun doit porter sur lui un outil, instrument ou ustensile qui reflète le sexe de l’enfant : une hache, une bêche, un couteau, un fusil ou une sagaie pour un garçon, une quenouille, une navette, un tisserand, des corbeilles pour la fille. Au garçon, le vœu d’usage est : « Puisses-tu devenir un homme de mérite, quelqu’un avec qui l’on compte ! », à la fille, le vœu est : « Puisses-tu conquérir un beau village », comme le rapporte Ollendorff. Lorsque la joyeuse procession est terminée, le komby doit être démonté, signifiant que tous les interdits sont maintenant levés.
Le destin d’un enfant né sous une mauvaise étoile est plus tragique. Mais c’est une autre histoire.
Je me demandais…Lesquelles de ces coutumes accepterais-je de suivre aujourd’hui ???
Pour moi, ce serait la partie « manala ratsiana », assurément 🙂
Milay ! tena izay za vao nahafantatra an’izao rehetra izao, ilay resaa miodina impito io ihany no fantatro hatr@ zay!!!
merci de tout coeur pour ce partage.Vraiment Passionnant.
Le plaisir de partager 🙂