Une reine à Arcachon

Mes petites recherches, hobby chronophage et enérgetivore comme pas deux…, m’amènent à marcher sur les traces de la petite reine, la dernière des Ranavalona, ma pauvre petite reine que j’aime. J’essaie souvent de me refléter ce que fut la vie de ces dames, le poids de leurs couronnes, la solitude et la douleur qui furent les leurs, et le bonheur et la joie, de courte durée, qu’elles aient pu vivre. Sans jamais vraiment en mesurer la juste profondeur.

Nous savons que, lorsque cet imbécile de Gallieni a achevé la première partie de son plan de colonisation, Ranavalona III fut déportée. Avant d’arriver en Algérie, elle fit quelques détours en France. Le récit que voici est celui de sa visite à Arcachon.

La petite école maternelle Engremy avait joué, quelques temps auparavant, une opérette, « en un acte et quatre tableaux : soldats, marins, parqueurs, dames de la Croix-Rouge ; Danses et orchestres malgaches ; musique militaire ; Apothéose ». L’opérette était  jouée par une soixantaine d’enfants en costumes, de 4 à 6 ans et dirigée par Mademoiselle Roumagnac – dont j’ai retrouvé la trace en entrant sur Geneanet. J’ai appris que cette demoiselle Roumagnac était une instutrice dévouée et une excellente directrice d’école, dont les efforts pour l’éducation des enfants ont été récompensés par sa municipalité. Elle a transformé l’asile Engrémy en Cours supérieur de jeunes filles.

La pièce s’appèle « Les rapatriés de Madagascar ou la reine Ranavalo à Arcachon ». Voici ce qu’en dit le journal local de l’époque Avenir d’Arcachon N°2307 du 15 mars 1896 :

« Nous voilà enfin arrivés à la fameuse pièce si impatiemment attendue « Les rapatriés de Madagascar ou la Reine Ranavalo à Arcachon ». Quel spectacle délicieux que tout ce petit monde dont les plus âgés ont six ans à peine et les plus jeunes n’ont pas trois ans, récitant, chantant avec l’aisance de la scène comme de vrais comédiens. On applaudit les dames de la Croix rouge (…) confectionnant des pansements pour les blessés, les parqueuses (…) tour à tour ballerines, et chanteuses. Puis arrive le défilé du corps expéditionnaire commandé par le colonel Engrémy (…), celui des officiers et des marins a la belle allure. Enfin, Ranavalo, sous les traits de la mignonnette Paule Boisserie, fait son entrée triomphale acclamée par le peuple et les soldats. La pièce se termine par une apothéose d’un effet saisissant. Cette oeuvre charmante est faite dans le goût nouveau. Par les récits, et  les chants se rapprochant de l’épopée, par le lyrisme, et de la féerie, par les danses (…) et la mise en scène »

Journal d'Arachon, 1896

En fouinant sur ce lien, j’ai appris que ces fameux « rapatriés de Madagascar » étaient en fait les 600 soldats français, blessés ou malades, de Madagascar vers la France à bord du « Cachemire » pour être transférés à l’hôpital militaire de Bayonne, en décembre 1895.  Je vous laisse imaginer donc l’étendue de la glorification à la France de Gallieni et la misère d’un Madagascar vaincu, racontées candidement par l’innocence des tous petits..  😦

Cette pièce aurait eu un succès tel que Ranavalona, de passage en France avant de se rendre en Algérie, émis – dit-on…- le désir d’assister à une représentation. Le 30 juin 1901, « par l’express de 9 heures 12 », la reine arrive donc à Arcachon.  Elle « porte un manteau de voyage couleur beige, un chapeau mousquetaire à plumes noir », comme le rapporte l’Avenir d’Arcachon N°2535 du 7 juillet 1901. Le même journal qui dit :

Comme une dame braquait son objectif, la reine souriante lui dit :  » Ah ! je vois que vous voulez me photographier ; alors je ne bouge plus !  » On n’est pas plus aimable.

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Puis, dans le N°2538 du 28 juillet 1901, on y lit :

L’ex-souveraine avait demandé (que) la pièce dont elle faisait l’objet et qui fut jouée en 1896, au Grand-Théâtre, par l’école maternelle Engrémy. Le manuscrit n’existant plus, on lui en avait remis une analyse qu’elle s’est fait lire plusieurs fois, d’abord en français, puis en malgache pour en mieux pénétrer le sens. Certaine scènes l’ont beaucoup amusée ; les vers de la fin l’ont même touchée. De vive voix, elle a chaleureusement remercié l’auteur, Mlle Roumagnac, et lui a offert son portrait, au bas duquel elle a écrit quelques lignes aimables.

C’est aussi en faisant ces recherches que je suis tombée sur une information que de tous temps, j’avais cru inventée. La romance de la reine…

Avenir d’Arcachon N°2530 du 02 juin 1901 :

La Reine Ranavalo – Le 22 juin, un journal du matin, annonce (…) qu’un sportsman des plus connus, membre du Parlement, possesseur d’une grosse fortune et veuf depuis quelque temps, a, hier, fait demander officiellement sa main à Ranavalo, ex-reine de Madagascar.

Ranavalona retournera sept fois en France. Son dernier voyage en France fut en 1915, à Fréjus, où elle rendit visite aux soldats malgaches engagés dans la Grande Guerre, les « tiraera ». Une exposition en l’honneur des tiraera se tient en ce moment à l’Hôtel de ville d’Antananarivo, dans le cadre du centenaire de la Première Guerre. A visiter absolument.

En 1907, Ranavalona revint en France pour visiter à l’exposition coloniale (*) de Nogent, où elle rencontra, au pavillon de Madagascar, les artistes et musiciens malgaches, menés par Rasambo. On dit qu’elle fut heureuse de parler malgache à nouveau. Mes recherches ne m’ont pas encore permis de retrouver les traces des oeuvres présentés par nos compatriotes en 1907, mais voici un extrait de la présentation à l’exposition coloniale de 1931, le chant des piroguiers, Rano An’Ala, sur Gallica, archives numériques de la Bibliothèque de France. Vous pouvez écouter la chanson authentique chantée par les musiciens de l’époque  en cliquant ici (c’est excellent, c’est délicieux).

Il s’agit d’un choeur mixte, accompagné de deux violons, dont voici le groupe malgache qui le présenta en 1931 – je ne connais malheureusement pas l’auteur de ces photos, quelqu’un aurait-il des infos? – Source : Gallica.bnf.fr

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Enfin, petit poème des écoliers d’Arcachon dédié à la Reine et publié dans le journal Avenir d’Arcachon en 1901. Je n’en apprécie sans doute pas la teneur d’un tel cadeau à sa juste valeur – il me parait même ironique à souhait -, mais je le partage quand même :

Salut, Ranavalo ! Salut gentille Reine !
Le soleil d’Arcachon, comme à Madagascar,
Fait briller sur tes traits ta Majesté sereine
Semant de diamants ta robe de brocart.

Nous aimons ta tournure et ta grâce onduleuse,
Ta noire chevelure et tes yeux noirs moqueurs,
Ton sourire d’enfant, ta taille harmonieuse,
Ton air affable et doux qui gagne tous les cœurs.

Tu trouveras chez nous la terre hospitalière,
Où toute âme grandit en pleine liberté.
Du palis somptueux et de l’humble chaumière
S’envole en chant d’amour ce cri : Fraternité !

Va ! Ne regrette rien. Sois à jamais Française !
Adopte les couleurs de notre cher drapeau.
Aime notre pays, car tout chagrin s’apaise ;
Le sceptre pour la femme est un bien lourd fardeau.

A toi, donc, les vertus qui donnent la vaillance !
Si tu veux d’heureux jours, au destin soumets-toi.
Et Reine par la grâce et par la bienveillance,
Tu verras tous les cœurs se soumettre à ta loi.

Du chaleureux accueil que l’on te fit en France
Garde, comme un joyau, le charmant souvenir.
Si notre sympathie adoucit ta souffrance,
$Sois une sœur pour nous, espère en l’avenir !

Souviens-toi quelquefois d’Arcachon la charmeuse,
Notre désir serait, nous t’en faisons l’aveu,
De te garder longtemps, aimable visiteuse,
Et de mettre en ton cœur un coin de son ciel bleu.

Permettez que moi aussi, de l’autre rive du temps, je fasse mes hommages à ma petite reine.

Sarasara tsy ambaka tompokovavy, ny arivolahy tsy maty indray andro, ny arivovavy velona mandrakizay.

Bien à vous, madame.

Ranavalona III, Alger

(*) : Concernant les expositions coloniales, voici un document intéressant à lire, « L’invention du sauvage » en cliquant sur ce lien  expliquant ce que le Monde Diplomatique écrit en 2000  » le passage d’un racisme exclusivement scientifique à sa popularisation rapide ». A des décennies de cette époque, ces expositions produisent encore, malheureusement, leurs effets nocifs à ce jour.

 

Un commentaire sur “Une reine à Arcachon

  1. misaotra e! izay nikaroka ka nahita nefa tsy manome no tsy mety, saingy maro no toy izany.

Les commentaires sont fermés.

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