Il y a 150 ans, Madagascar découvre la presse

Janvier 1866 – janvier 2016 : la presse malgache a 150 ans. Luttes d’influences entre Français et Britanniques ; résistance malgache à la colonisation
; attaques de la presse coloniale et censure de l’Administration française, les débuts de la presse malgache ont été douloureux. C’est un jubilé discret pour une institution historique.

L’empreinte des missionnaires. « Ny Teny Soa Hanalana Andro/La Bonne Parole Pour les Loisirs » est le premier titre malgache, paru en janvier 1866 et diffusé par la mission évangélique protestante, la LMS. En effet, l’action des missionnaires a changé la vie quotidienne des Malgaches de la fin du 19e siècle, notamment en Imerina et en pays Betsileo. Le nombre de lecteurs potentiels a augmenté depuis la première école ouverte par le missionnaire David Jones en 1820 à la promulgation du code des 305 articles qui rend obligatoire la scolarisation des 7-16ans. Dès 1827, à Antananarivo, l’imprimerie protestante est active et sera capable de fournir annuellement quelques 15.000 livres scolaires, ouvrages confessionnels et Bibles. Les missions catholique, anglicane et norvégienne emboîteront le pas à la LMS et en 1869, le royaume de l’Imerina aura sa propre imprimerie (***) qui publiera les discours officiels et lois. Autant de modernisation qui soutiendra la presse.

De quoi parlait-on dans cette jeune presse ? Extrait de l’édito du numéro 1 de Ny Teny Soa janvier 1866 :

TENYSOA

« (…) nous avons vu la situation des habitants ; ils n’ont pas beaucoup de lectures, à part l’Ecriture Sainte. Beaucoup de choses leur sont inconnues (…) Aussi avons-nous pensé à créer ces menus papiers pour que les gens puissent passer le temps (…) Et nous les nommons Bonnes Paroles car nous y écrirons ce que nous jugeons être utile aux gens (…) »

Par « utile aux gens », les missionnaires entendaient l’évangélisation et la diffusion de la culture occidentale et les autres confessions suivront leurs exemples. Si bien qu’en 1896, les Malgaches lettrés disposaient déjà d’une dizaine de titres à la gloire de l’Occident et du christianisme. Pour le Pr Lucile Rabearimanana, historienne, c’est comme si « avant la pénétration de la civilisation occidentale, c’est le noir, la barbarie qui régnaient à Madagascar, alors que c’est les missionnaires qui ont apporté la Civilisation et la Lumière dans l’île » (**)

La France vs La Grande-Bretagne. Les missions protestante et catholique s’affronteront à travers cette jeune presse. Le journal catholique Ny Resaka (1874) répond aux attaques du journal protestant Ny Teny Soa, les deux missions se qualifiant mutuellement d’idolâtres et d’hypocrites et exhortant les Malgaches à suivre leurs confessions respectives. Fort heureusement, le lecteur pouvait aussi lire des articles sur la machine à vapeur, l’hygiène, l’alcoolisme.

Ny Gazety Malagasy et Ny Gazety Malagasy. La censure était omniprésente et les titres confessionnels se gardaient de critiquer le gouvernement de l’Imerina. Mais en 1875, Dr Davidson lance « Ny Gazety Malagasy », premier journal laïc. Soucieux d’interpeller le lecteur sur les conditions de vie des Malgaches, ce journal détourne la censure en publiant des analyses des pratiques politiques de pays étrangers, des institutions publiques, des structures de décisions politiques et économiques. Le lecteur faisait naturellement la comparaison avec ses propres réalités, et ses conclusions ne sont guère avantageuses pour le gouvernement de l’Imerina. Ce dernier comprit la ruse et en 1876, supprime Ny Gazety Malagasy.

Un autre « Ny Gazety Malagasy » nait en 1883 : c’est la presse d’Etat. Elle publie uniquement des informations que le gouvernement maîtrise et valide et ne souffre ni critique, ni remise en question.

Extrait de l’édition d’août 1883: « Tous les propos du journal ne sont ni des rumeurs, ni des faux bruits mais qu’il ne s’agit que de fais véridiques. Ce qui est dit (…) sont tirés des rapports établis par les gouverneurs et les officiers (…) qui sont absolument dignes de foi »

En pleine guerre franco-merina, cette presse officielle dénoncera aussi les abus des Français et galvanisera le peuple contre la France.

La presse pro-coloniale et le « régime de Nabuchodonosor ». Evidemment, les Français établis à Madagascar veulent accélérer la conquête. Pour interpeller leurs députés, ils créeront à Toamasina et Antsiranana une presse pro-coloniale très agressive, vers 1880 : La Cloche, premier hebdomadaire à Madagascar (1880) ; Le Courrier de Madagascar (1891), La France Orientale (1891), Le Madagascar (1892), Le Clairon (1894) (***). Leur interpellation à l’endroit de la Métropole se fera pressante et les attaques à l’encontre du gouvernement de l’Imerina, caustiques. Cette presse revendique les droits et la souveraineté des Français sur la terre de Madagascar et formeront le virulent Syndicat de la Presse coloniale, à Toamasina.

Rainilaiarivony
Le Premier Ministre Rainilairivony

A partir de 1890 et suite à l’accord secret entre Français et Anglais, le Résident Général relaie ces interpellations et attaques, à travers sa propre gazette « Le Progrès de l’Imerina/Ny Malagasy ». Les joutes verbales par voie de presse, entre le Premier Ministre Rainilairivony et le Résident Général, étaient phénoménales. Le Progrès de l’Imerina traita le gouvernement de l’Imerina de « régime de Nabuchodonosor » et coucha une phrase qui se figera dans les mémoires :

« Lorsque vous cesserez d’exploiter, vous serez exploités à votre tour, lorsque vous cesserez de vous livrer à des sabotages, vous serez sabotés à votre tour », Le Progrès de l’Imerina, n. 340, juin 1894.

La résistance et le décret scélérat. 1896 : la chape de la colonisation s’abat sur Madagascar. Aussitôt, la résistance s’organise et la riposte arrive en 1901 où Gallieni obtient des pouvoirs spéciaux pour appliquer un régime juridique contraignant à l’endroit de la la presse malgache.

Ainsi, seul un citoyen français était autorisé à gérer un journal, après de lourdes enquêtes de moralité, devant démontrer la loyauté au pouvoir colonial. Cette autorisation peut être retirée à tout moment, à la discrétion du Bureau de la presse indigène. Ce Bureau, rattaché au Bureau des Affaires politiques, doit lire les articles– qui ne devaient parler ni de politique, ni de l’Administration coloniale – au moins 48heures avant la diffusion du journal et les textes en malgache sont traduits par des auteurs/interprètes assermentés. Une commission de censure, composée par le chef du Bureau des Affaires politiques et un assesseur de la Cour d’Appel, accorde ou non un visa (**). En 1927, le pouvoir colonial décrète l’interdiction à quiconque d’imprimer, de vendre, de distribuer, d’afficher tout écrit, articles, illustrations susceptibles de porter atteinte à l’image de la France.

Le journaliste Ralaimongo baptisera ces deux décrets de 1901 et 1927, décrets scélérats. Contestant le décret scélérat, le journal l’Opinion où travaillait alors Ralaimongo publie sans le visa du Bureau de la presse indigène. Le Pr Lucile Rabearimanana, historienne écrit (**) : « Il (Jules Ranaivo, gérant du journal) fut poursuivi en justice et condamné par le Tribunal Correctionnel d’Antananarivo (…). Mais il fut acquitté par la Cour d’Appel en septembre 1934 et ce jugement fut définitivement reconnu par la Cour de Cassation qui admit en novembre 1935 l’illégalité des décrets de 1901 et 1927 ». Cette brève atmosphère de liberté, on le doit à l’avènement de la gauche socialiste au pouvoir de la Métropole. Mais avec Seconde Guerre Mondiale, la censure reviendra en force. En 1939, l’Administration coloniale décrète le contrôle obligatoire des articles par le Service général d’information. Toute une liste de titres étrangers est interdite d’entrée à Madagascar.

Les poèmes de la résistance et la presse d’opinion. Muselée, la presse malgache n’avait plus que les thèmes culturels à traiter et elle en profita : c’est grâce aux poèmes, proses et analyses littéraires, et à l’effervescence de la vie culturelle malgache du début du 20e siècle que l’on jetait, subtilement, des messages de résistance et de solidarité autour de la cause nationaliste. L’affaire du Vy, Vato, Sakelika en 1915 sera le prétexte de l’Administration coloniale pour assommer cette presse de résistance. Ny Lakolosy Volamena, Ny Loharano, Ny Fitarikandro, Ny Mazava et Ny Tsara Fanahy(*) seront supprimés pour avoir publié des proses à tendance nationaliste soutenant le VVS. Mais cette expérience ouvrira la porte à une nouvelle génération de journalistes, à travers la presse d’opinion, sous le lead de Ralaimongo. Et la presse malgache entre dans un nouveau chapitre de son histoire avec des journalistes engagés que nous appelerons aujourd’hui des activistes.

Une anecdote qui me rend à la fois triste et emerveillée : les journaux ne pouvaient être diffusés dans les villages lointains, faute de moyens de distribution et à cause d’un tirage restreint mais surtout parce la censure exércée par l’Administration coloniale était très lourde. Dans les années 20/30, des volontaires apprennaient les articles par coeur et partaient dans les contrées éloignées. Là, sur la place du marché, dans la cour de l’église ou au famoloana, ils récitaient de mémoire chaque article pour que les gens puissent les entendre. D’autres apprenaient les articles à leur tour et les transmettaient ainsi aux villages voisins.

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Illustration dans le journal Ny Fireneko, août 1950. Tiré de ces brillantes recherches sur  »La culture politique nationaliste malgache à travers les dessins politiques des années 1940-1950 »’. Par Denis Alexandre Lahiniriko (lien en bas de page)

(*) Historique de la Presse Malgache, Affaires Politiques D822, Bibliothèque Nationale (**) Le Développement de la Presse en Imerina, par Brot F. in Revues de Madagascar, juin 1906. (***) L’œuvre des missions protestantes à Madagascar, Banquis. (****) La presse à Madagascar, de 1947 à 1956, Lucile Rabearimanana, Librairie Mixte, 1980.

Autres documentations :

De mon 21e siècle relativement confortable, avec ma connexion Internet plus ou moins fonctionnelle, une pensée particulière aux premiers amoureux du métier.

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6 commentaires sur “Il y a 150 ans, Madagascar découvre la presse

  1. Thx pour le partage sur le travail cf caricatures des années 1950. C’est fantastique, ces recherches devraient vraiment être valorisées!

    1. De rien. En effet, c’est vraiment passionnant et de les lire, et de les partager. C’est clair que nous avons des montagnes de recherches et de résultats de recherches qui ne demandent qu’à être valorisées.

  2. La presse malgache a 150 ans, sa libération des pouvoirs politique et économique n’est pas achevée…

  3. C’est vraiment passionnant. Merci pour ces partages et recherches. Je ne connaissais pas ce blog, plus habituée à l’autre blog que vous tenez, mais heureuse de pouvoir  »m’abreuver » de vos trouvailles ici aussi.
    B*

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