Aviation malgache : de Jean Raoult, à Maryse Hilsz et Titaÿna

J’aimerais commencer cette année en vous parlant d’un sujet auquel je n’ai jamais eu l’occasion d’aborder : l’aviation malgache et en particulier de trois personnages peu connus des Malgaches : Jean Raoult, Maryse Hilsz et Titaÿna. Les deux premiers ont fait un baptême de l’ai exceptionnel, la dernière est un personnage haut en couleurs que j’aime bien et que je voudrais « vous présenter » 🙂

danse avion
A Tsihombe : danse Antandroy devant un Potez, sept. 1934 Coll. Sellier. Crédit : Bibert

La conquête du ciel malgache commence en 1871, quand le jésuite Finaz fait voler le premier aérostat. C’était sur l’esplanade de Mahamasina. Quelques années plus tard, en 1895, le ballon dirigeable nommé l’Éclaireur de Dex et Dibos survola l’île de Sainte-Marie vers le cap St André.

 » Après des adieux rapides à leur chef, les aérostiers reprirent leur place près des cordes de retenue, fortement tendues par le ballon délesté de trois cents kilos. « Tout est-il prêt ? » demanda le capitaine en sortant sa montre. Et sur un signe affirmatif : « Messieurs, dit-il, il est deux heures cinquante ; le voyage de l’Éclaireur commence. Adieu, et vive la France ! » Puis, après un instant, et au milieu d’un profond silence, sa voix se fit entendre à nouveau, prononçant ce seul mot : « Coupez ! » – Léo Dex et M. Dibos,  « Voyage et aventures d’un aérostat à travers Madagascar insurgée »

Mais il faut croire que l’aviation ne faisait pas que des émules. En octobre 1910, cinq ans après l’Éclaireur, voici ce qu’on lisait sur le Progrès de Madagascar :

« Nous ne croyons pas à l’aviation à Madagascar » – Le Progrès de Madagascar, octobre 1910

Et le journal remettra une bonne couche d’optimisme deux ans plus tard 😀 😀 :

« L’aéroplane ne remplace évidemment ni le chemin de fer, ni la route, ni la piste d’étapes: il ne peut pas servir au transport des marchandises du commerce, pas plus qu’au ravitaillement des postes en hommes, vivres ou munitions. Au point de vue militaire, pourrait-il rendre des services comme moyen de reconnaissance? C’est bien peu probable…  » – Le Progrès de Madagascar, octobre 1912

Jean Raoult, l’aviateur qui fracassa son avion

C’est donc dans cette atmosphère teinte de scepticisme qu’en juillet 1911, Antananarivo eut pour la première fois le privilège de voir se poser sur le sol malgache les tous premiers avions qui étaient des monoplans Blériot. Aux manettes (ça se dit?), Jean Raoult, qui avait obtenu un brevet de pilote en février 1911 et qui était en fait, de son métier, adjoint aux affaires civiles auprès du Gouverneur général de Madagascar.

Aviation Malgache
Article dans Le Temps, Mercredi 12 juillet 1911

Le premier vol fut organisé sur le terrain vague d’Androhibe, un 17 juillet. A 7h30 précisément, Raoult s’installa dans son avion et à 7h32 (précisément également), il éleva son bras droit pour donner le signal de son décollage. Le vol fut sensationnel et le public, une cinquantaine de personnes, était fasciné par cet oiseau de fer plus lourd que l’air et qui volait pour la première fois sur le ciel d’Antananarivo. Un premier vol exceptionnel, la foule acclame. Mais à l’atterrissage, mauvaise surprise : le Blériot XI de Raoult se fracasse sur le sol.

: « Un arrêt de moteur empêcha Raoult de manœuvrer et au lieu de revenir sur le champ d’aviation (..),  l’appareil s’approcha de terre au point B et heurtait le sol. L’hélice se brisa, vola en éclats, l’appareil s’affaissa, brisant ses ailes, l’émotion fut vive , très vive » – Le Progrès de Madagascar, 11 juillet 1911

Malheureusement pour Raoult, le second vol, le 28 juillet 1911 se termina encore par un accident. Il semble que sa carrière d’aviateur a été bien courte. Selon des témoignages – pour lesquels malheureusement, je n’ai pas pu trouver de sources crédibles pour recouper mais je vous partage quand même : Raoult aurait été victime de la rivalité des différents départements de l’administration qui voulaient monopoliser le service  colonial de l’aviation. Du reste, le passionné d’avion aurait fait plusieurs requêtes pour obtenir des pièces de rechange, en vain. Quoi qu’il soit, une stèle commémore ce premier vol de l’intrépide Raoult à bord du Blériot XI, sur le terrain d’Androhibe.

Jean-Raoult
Timbre à l’effigie de l’avion de Jean Raoult avec la stèle d’Androhibe en mémoire du premier vol.

Après Raoult, il y eut d’autres tentatives, heureusement couronnées de succès. L’hydravion Jupiter réalise la première liaison aérienne France-Madagascar : il arrive à Majunga le 21 novembre 1926, se pose sur le lac de Mandroseza le 4 décembre puis amerrit à nouveau sur le lac Itasy.  Au retour en terres françaises, l’hydravion Jupiter sera exposé aux Tuileries.  Cette première  liaison sera suivie par celle du Bréguet 19 du commandant Dagnaux en 1927,  puis le vol du capitaine Marcel Goulette et celui de l’équipage Réginensi-Marsot en 1929. Entre temps, les liaisons intérieures prennent leur envol, reliant Antananarivo, Toamasina et Mahajanga, villes qui recevaient déjà le courrier postal par voie aérienne en 1929.

Maryse Hilsz, la pionnière de l’aviation

Mais ce ne sera qu’en 1932 que l’on verra la première aviatrice faire la liaison France-Madagascar. Elle s’appelait Maryse Hilsz et en avril 1932, elle fit poser son avion baptisé Joe II sur le sol malgache après un périple où elle et son mécanicien, Donne, ont du affronter tornades et problèmes mécaniques. Maryse Hilsz, de son vrai prénom Marie-Antoinette est née en 1901 et avait commencé comme modiste. Puis, hardie, elle décide qu’elle pouvait être aviatrice et à 23 ans, passe un concours de saut en parachute… sans jamais avoir monté à bord d’un avion. Elle fait 112 sauts, dont une vingtaine en double, puis décroche son brevet de pilote en 1930. Maryse était une pionnière de l’aviation française avec plusieurs vols historiques à son actif. Au moment où elle avait imaginé le projet du vol France-Madagascar, elle venait de réaliser son vol Paris-Saïgon. En 1931, le ministre français de l’Air, Jean-Louis Dumesnil la reçoit et lui accorde une subvention pour organiser un relais par avion entre Paris et Madagascar.

Maryse Hilsz
Le F.291 F-ALUI « Joe II » de Maryse Hilsz en début de carrière. Crédit : Michel Barrière

Fin janvier 1931, Hilsz et son assistant mécanicien, Dronne, après plusieurs jours d’entrainement et de vérifications diverses, s’envolent à bord de leur appareil, un F.291 enregistré avec le CdI 3046 et l’immatriculation F-ALUI et baptisé « Joe II ».  Le Crezan Aviation qui se consacre à l’histoire de l’aviation de l’Entre-deux-guerres rend compte des péripéties de l’équipage : Joe II fit plusieurs escales en Afrique, dont un atterrissage abrupt  à 80 km de Niamey à cause d’un ennui mécanique. L’équipage ne put repartir que le 15 mars vers Fort-Lamy, puis Bangui, avant de se retrouver coincé à nouveau à Fort-Archambault par des tornades. Puis, l’avion repartit sur quelques escales avant de se retrouver encore bloqué par la météo. Ce ne sera qu’au 28 février qu’ils rejoignirent Quelimane, dans le Mozambique, et y firent de nouvelles réparations avant de s’envoler pour Madagascar .

Maryse_Hilsz
Maryse Hlisz, première femme à faire le lien Madagascar – France. Photo : http://centennialofwomenpilots.com

Le 28 février, dès les premières heures du jour, l’on se  pressait sur le terrain vague d’Ivato pour accueillir l’aviatrice qui captivait déjà les esprits, autant qu’elle suscitait l’admiration. Mais Joe II atterrit plutôt à Fianarantsoa et ce ne sera que le lendemain, à 12h35 que l’appreil, escorté en vol par deux avions de l’escadrille de Madagascar, fit son atterrissage sur Antananarivo. Maryse Hilsz fut accueillie avec les honneurs par  le gouverneur général Cayla. Cette grande aviatrice s’enrôla dans la Résistance en 1941. En janvier 1946,  des suites de mauvaises conditions météorologiques, son avion s’écrase dans le Bourg-en-Bresse. Maryse Hilsz n’y survécut pas.

Titaÿna, l’aviatrice aventurière

On racheta le terrain d’Ivato à deux planteurs de café, afin d’y construire un aérodrome. Le gouverneur Cayla fit aménager 96 terrains d’atterrissage en 1934. Dès lors, courriers postaux, évacuations sanitaires et transports de passagers étaient possibles.  En juillet 1935, le premier vol France-Madagascar ouvert aux passagers atterrit à Antananarivo. Une journaliste du nom de Titaÿna en fut la première passagère.

Titaÿnia
Titaÿna et « sa » tête de Buddah Photo : Centre Pompidou

Titaÿna, née Élisabeth Sauvy, était une journaliste et grand reporter française. Passionnée d’aviation, elle était aussi romancière, réalisatrice de films documentaires, auteure d’ouvrages de voyages et d’exploration. C’était une casse-cou : elle partait en avion en Turquie pour obtenir une interview de Mustafa Kemal Atatürk et revint de son reportage sur une charrette tirée par des bœufs ! Elle réalisa ainsi, dans des situations rocambolesques, des interviews de personnalités de son époque, comme Romanetti, Mussolini, Lyautey, ou même Hilter. Les lecteurs suivaient  avec délectation ses reportages où elle aimait mettre en scène sa personnalité excentrique. Elle  pilotait elle-même son avion,  jouait les dames de compagnie à la cour impériale du Japon 😀 et avait même volé une tête de Bouddha à Angkor 😀 😀 😀 comme on peut lire dans Le Cinéma au musée de l’Homme,  la construction d’un patrimoine, l’invention d’une culture ?
Première partie : 1937-1960″ . Disons qu’elle a vécu dans les années 30 la vie rêvée des bloggers de 2018 🙂 (ou du moins de l’une d’entre eux lol)

Malheureusement, compromise sous l’Occupation à cause de ses articles favorables à la collaboration, elle fut déchue de sa nationalité et ses biens lui ont été enlevés à la Libération. Ceci étant, je n’ai pas encore retrouvé trace de ses reportages lors de son passage à Madagascar. Mais je trouverais bien. Asa re.

 

Titaÿna
Article de Titaÿna, récit de ses passionnantes expéditions

Ainsi commença l’histoire de l’aviation malgache. En 1945, juste après la guerre, Air France s’installe à Antananarivo et en 1961 fut créée la compagnie Madair, ancêtre d’Air Madagascar. Ce dernier, qui tient son nom d’une petite entreprise locale qui organisait des vols domestiques, voit le jour en 1963.

Pour d’autres lectures sur l’aviation malgache, sur Titaÿna et Hilsz : (je compléterais plus tard)

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2 commentaires sur “Aviation malgache : de Jean Raoult, à Maryse Hilsz et Titaÿna

  1. Ela be ianao Madama tsy nanoratra, faly mahita anao eto indray dia misaotra amin’ny fizarana!

  2. Merci !
    Et quand ce sera le première femme pilote pour un Boeing 787 à TNR ?

Les commentaires sont fermés.

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