En 1914, les rumeurs de la guerre soufflaient déjà sur Madagascar, malgré un quotidien en apparence calme. De conversations en conversations, l’on parlait de cette guerre imminente, mais l’on se disait assez loin du front pour être frappé de plein fouet.

Une cinquantaine d’Allemands vivaient à Madagascar à l’époque : peu nombreux mais très influents. Maurice Gontard, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université d’Antananarivo dans son travail « Madagascar pendant la première guerre mondiale » évoque :
« Ils détenaient de solides positions économiques et jouissaient de la confiance d’une clientèle fidèle, les commerçants musulmans, indiens et chinois des régions côtières, spécialement dans les régions de Majunga et Analalava ».
On s’inquiétait de ce que ces Allemands de Madagascar ainsi que l’armée allemande qui était déjà présente sur l’autre rive du canal de Mozambique ne s’allient pour attaquer l’île. Cette inquiétude avait une autre raison d’être.
1914 à Madagascar : une soirée aux allures de conspiration à Soarano
Dans le quartier de Soarano, Antananarivo, vivait un notable malgache du nom de Ralambo , riche commerçant de son état qui, le 29 juillet 1914 organise une grande soirée dansante à la sulfureuse réputation. Allemands, Malgaches issus de la bonne société tananarivienne y avaient été conviés : musique, banquet et champagne à flots. Plus tard, les convives de Ralambo raconteront que des réunions en petit comité et des apartés se sont faits, entre Allemands et Malgaches. Le Pr Maurice Gontard rapporte : « Le bruit court, qu’au cours de la soirée, on a sablé le champagne et bu au succès des armées allemandes ».

Aussitôt, les rumeurs les plus folles courent de rues en rues, où l’on terrifie les Malgaches en brandissant la menace d’une guerre imminente aux portes de l’île et une invasion allemande. Les véreux profitent de l’occasion pour faire flamber les prix des denrées et des produits de première nécessité sur le marché. « Invasion, soulèvement ou désintégration par anarchie, tels étaient les maux qui menaçaient l’île en ce début d’août 1914 », souligne le Pr Maurice Gontard.
1914 à Madagascar : rebelles internés, révoqués, licenciés, supprimés
Parmi les « mesures préventives » prises par l’administration coloniale fut de garder tous les ressortissants allemands dans un même lieu à Antsiranana et Toamasina, en tant que prisonniers de guerre. Quant aux convives malgaches lors de cette soirée mystérieuse, ainsi que Ralambo lui-même, ils seront très sévèrement punis : fonctionnaires rétrogradés ou révoqués, employés licenciés et envoyés en résidence éloignée à Ankazobe pour plusieurs mois – dont le gendre de Ralambo. Ce dernier sera interné à Sainte-Marie pendant cinq ans. Parmi les convives, le journaliste Rainizanabololona qui était rédacteur en chef du journal la Cloche d’Argent sera supprimé. La plupart des colporteurs de rumeurs et de propagande de guerres ont été emprisonnés, tandis que le gouverneur général appelle au calme.

Dans la même foulée cependant, la guerre est déclarée en Europe alors que le gouverneur Picquié visitait la côte Est de l’île. Le journal « La Tribune », raconte que son train qui arrive à Soarano le lundi 3 août à 18h43 a été attendu par une immense foule de Français et de Malgaches qui, inquiets de la situation, étaient si nombreux qu’on a du les refouler sur l’avenue et le boulevard (actuelles avenue de l’Indépendance et place du 13 mai). La foule scandait, dit-on, des « Vive la France! Vive le gouverneur! Vivent les Français! »(*)
1914 à Madagascar : « Montrez-vous dignes de la France »
Le gouverneur général fera un discours d’apaisement, à la mesure de l’inquiétude générale :
« Vous (Malgaches) savez ce que vous devez à la France : elle vous a adoptés comme ses enfants; elle vous protège, montrez vous dignes d’elle (…) N’écoutez pas ceux qui colportent de fausses nouvelles (…) Signalez les méchants à l’administration qui les arrêtera et les punira (…) – Journal Officiel, 8 août 1914.
Cet appel, bien qu’il ne sera pas du goût de tous les Malgaches, sera massivement relayé dans la presse malgache, placardé dans les bureaux administratifs et partagés par les fonctionnaires. Le calme revient dans le pays, mais les pressions financières nées des exigences de la guerre se feront agressives. Maisons de commerce, entreprises, plantations ne tourneront que difficilement et bon nombre de Malgaches seront littéralement aux abois. La reprise économique ne se fera que vers 1915, notamment l’exportation de viande, de peaux et de graphite.

Mais la guerre se prolongera et la France enverra télégrammes sur télégrammes pour presser Madagascar d’envoyer des hommes : d’abord les Français d’âge mobilisable, puis plus tard les Malgaches.
« Guerre demande examiner possibilités fournir nouveaux officiers, infanterie, artillerie, génie » (télégramme du 6 février 2015 à l’intention du gouverneur général Garbit)
La presse malgache d’expression française, mais aussi des personnalités influentes comme le prince Ramahatra, neveu de Ranavalona III – exilée à cette époque -, font des discours de loyauté sans égale à la France. Ramahatra, dans un kabary adressé au Gouverneur général : « Nous sommes prêts (…) à verser notre sang pour la défense de la France » – Paroles qui ne manqueront pas de faire grincer des dents du côté malgache nationaliste, car tous ne partageaient pas cet « amour filial » envers la France.

1914 à Madagascar : 41 355 Malgaches enrôlés
Les premiers détachements malgaches ont été recrutés et prêts à partir fin septembre 1915. 700 tirailleurs, dont le départ sera fêté d’une manière grandiose le 9 octobre 1915, en présence d’une foule de 30.000 personnes. Mais à Paris, le ministère de la guerre doutera des capacités physiques des tirailleurs malgaches et après échanges de télégrammes inquiets entre la Métropole et le gouverneur général, les tirailleurs quittent enfin Madagascar le 20 octobre à bord de deux navires. Plus de 41 000 Malgaches ont été mobilisés durant la Première Guerre, dont 34 000 envoyés au front européen.

La deuxième partie suivra, avec le témoignage d’une jeune femme malgache qui racontera ces années de guerre à travers une correspondance épistolaire.
Sur le même sujet :
- Les tirailleurs malgaches
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« L’image du tirailleur malgache de la Grande Guerre est brouillée »
- Lu pour la rédaction de cet article : « Madagascar pendant la première guerre mondiale » , Pr Maurice Gontard, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université d’Antananarivo – Préface de René Roblot, Recteur de l’université de Madagascar.
Photo en une : Tirailleurs malgaches à la Tremblade en 1917
Note :
(*) Je tiens à préciser ceci pour vous (et pour moi-même). Toutes les histoires ont au moins deux versions. Dans cette série de quelques articles consacrés aux Tiraera (tirailleurs) et à Madagascar pendant la première guerre mondiale, les prochaines histoires que je vous raconterais donneront une autre lumière sur cette époque de notre histoire (car bien évidemment, tous les Malgaches n’avaient pas clamé « Vive la France »). Ce tout premier article n’est que pour jeter le contexte de ce que je compte vous raconter plus tard : n’y voyez pas une conclusion. D’ici là, veloma kely aloha!
Misaotra fa misy tantara tsy fantatra hatrizay ka dia mahavariana
mahafinaritra e
Miarahaba e!
Misaotra anao mizara itony tantara sarotra fehezina kanefa kosa mitarika fandinihan sy fanitsina fijery.
Veloma ô.